Un Pêcheur à la ligne

Extrait audio (voix: Saadi Bahri)

Le récitant [1] est en habit de pêcheur : casquette et gilet multi-poches ; poches dans lesquelles il y aura certains des livres qui seront abordés lors de la lecture-représentation.

 

 

Acte I

Le récitant arrive sur scène, tête nue ; semble chercher un bon coin pour la pêche, le trouve ; dépose son petit banc-garde-manger qu’il tenait en bandoulière. Il enfile alors assez immédiatement et avec détermination (comme un militaire) la casquette qu’il a sortie de l’une de ses poches de gilet ; puis il sort de la même poche un livre
(LIVRE 1) qu’il dégaine comme une arme et feuillette nerveusement.

Prologue

(se parlant à lui-même)

Tu n'es pas malade, eux (dit dans un bégaiement) le sont bien davantage en faisant semblant de si bien aller dehors. Attention tu peux le devenir, contracter la maladie, par désespoir de trouver la raison et l'issue de ton état normal ; mais tu ne seras jamais malade à leur manière, tu pourras seulement l'être bien davantage comme on brûle / leur manière qui est une manière lente comme un feu qui s'éteint d'être malade.

(semblant interpeller le spectateur, brandissant le livre)

Seuls les poètes à travers leurs différentes formes d’expression ont laissé une trace de vie, ce sont les plus vivants, quoi qu’on ait dit de leur vivant.

(porte des deux mains le livre vers l’avant)

Le désir tenu de l’écriture, le désir tenu et maintenu de l’écriture.

(puis ramène le « poisson-livre », en quelque sorte, et le dépose dans le petit banc)

(il s’assoit ensuite lourdement : bruit de soufflet du banc)


Nécessité fait loi [2]  (après avoir dit cela, pense à un livre (LIVRE 2) qu'il prend dans le petit banc sous lui; y dépose le livre 1)

dans la boîte du crâne

à peu-près disons

40 % de  pornographie (ne referme le banc qu’à ce moment)  

somme de désirs de toutes espèces trébuchantes

50 % d’absence

10 % tout au plus

guère davantage de poésie.

La seule différence !

rien que de normal :

ne pas vouloir laisser mourir la poésie, s’éteindre la poésie,

lui être redevable comme il se doit

de survie

et attendre d’elle aussi

tout espoir

de revirement statistique.

 

(se lève)

Sans poésie vous mourrez

à plus ou moins long feu

malgré les gesticulations que vous tenterez

de nous faire accroire ;

avec la poésie vous vivrez à plus ou moins long feu.

 

(revient à sa position initiale et s’assoit doucement ; retire la casquette et la garde dans sa main ;  parle alors d’une voix très caverneuse)

Les jours où la poésie dort,

les jours mornes,

les jours mornes où la poésie dort.

 

Quand la poésie dort,

je m’ennuie

à mort

les lumières du dehors s’éteignent laissent de longs boulevards

morts, même ton corps. (dans un grand épuisement, laisse tomber le livre)

(cherchant une issue mentalement… et semblant la trouver)
Possibilités… repères (prend alors un livre sur son cœur (LIVRE 3) et le tend progressivement vers l’avant :)

 
L’être émet
je suis ce que j’émets
émotion propre à mon état d’être humain
(pour peu que cet état soit)
position particulière dans l’espace de cet être humain que je suis
(tant soit peu que j’ai voulu l’être et que je le veuille encore) :

 

(dit au garde-à-vous après avoir remis maladroitement la casquette)

Je veux la gloire en effet, la gloire d’être aimé de mes proches, de rapprocher notre proximité pour ne pas la perdre ; la gloire de mériter d’être aimé, et d’aimer, en recréant l’amour.

(se rasseyant lourdement, bruit du banc)

 

(frappe le petit banc des deux pieds, le haut du corps restant fixe ; dit alors d’une petite voix semblant venir de l’intérieur du banc:)

Dangers… mises en garde (prend un tout petit livre (LIVRE 4) dans le banc ; y dépose le livre 3)

L’âme peut-être hélas

tendue

comme l’araignée tend sa toile,

une sécrétion sur du vide

et son repas frugal. (fait le geste de manger ce petit livre immangeable, trop dur, rassis ; jette le  livre immangeable)

 

Orphée (dit comme un appel lointain qu’il entendrait, vers laquelle il se dirige,  vers l’avant ; semble alors lire dans un grand livre ouvert quelque part)

le message est clair,

la vie est un enfer

du point de vue du devenir de l’âme

si tu ne gravis pas son chemin.

Et ne te retourne pas,

crois en l’amour

qui te tient et t’emporte (vers la dimension ouverte de la vie)

et avec toi ton amour

dont tu ne douteras point.

 
La voie … (retour d’espoir, perspective d’une issue, enthousiasme progressif ; se remet en mouvement)

 Idée d’une trace !... (comme un eurêka : pense à un livre dans le petit banc, qu’il va chercher (LIVRE5))

(dira ce qui suit avec enthousiasme, délirant progressivement : sentiment de puissance, celle du loup, parfois obscène)

La machine à penser (penché sur le banc encore en train de chercher le fameux livre : on voit ses fesses)

(se retournant d’un bond mettant en avant le tronc) même turgescente est bornée.

Le troisième œil (on a l’impression de voir ce troisième œil surgir du tournoiement de ses yeux)

émotif, lui,

(mouvement en vrille vers l’avant de sa tête) semble percer le réel !

 

(avec la voix du loup pourrait-on dire :) La poésie traverse le langage, passe à travers le langage, se glisse (monte alors sur le banc) derrière ce qu’il y a de pris qui croyait  prendre du langage, ce qu’il

obture avec ses gros sabots inévitables (marchant lourdement sur le banc).

Percer le langage (tête au maximum vers l’avant au point limite de la perte d’équilibre), et on voit l’œil qui vous regarde inerte de la vie. (visage alors comme pétrifié)

 

(tombant en arrière du banc, lâche aussi le livre; puis semblant regarder comme de petits cailloux blancs au sol, tel le petit Poucet, petits cailloux qui l’amènent à s’éloigner, à reculons, vers le fond de la scène :)

Les petits cailloux blancs de l’écriture ne ramèneraient pas vers la maison des hommes ?... (dit avec un écho)

 

 

 

[1] En italique et gras, quelques propositions de mise en scène, minimales.

[2] Soulignement des sous-titres dits par le récitant, sous-titres structurant chaque acte.

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